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29 janvier 2015 4 29 /01 /janvier /2015 16:54

 

Comment la compétence des sourds,

peut se retourner contre eux ?

Comment la présence des professionnels sourds, dans un établissement qui accueille des sourds, peut être perçue comme un handicap par leurs directions ?

La question, posée de manière volontairement choquante, me semble cependant révéler un problème réel. L’intérêt d’inclure des professionnels sourds locuteurs de la langue des signes, dans un établissement qui accueille du public sourd est, pour moi et pour la plupart des lecteurs de ce blog, sans doute évident (connaissance de la langue et de la culture des sourds, maîtrise des composantes dialectales de langue des signes etc. tous ces sujets ont déjà été longuement abordés sur ce blog).

Une série de témoignages, d’institutions différentes, révèlent pourtant que certains directeurs d’établissements peuvent préférer l’embauche d’un professionnel entendant (parfois même incompétent en langue des signes), à l’embauche d’un sourd, aux mêmes compétences professionnelles. Voici quelques exemples vrais, issus de témoignages (les situations ont été légèrement modifiées, sans toucher à l’essentiel, et les prénoms remplacés) :

 

 

  • Juliette est une étudiante sourde, qui se destine à l’enseignement, fait ses stages dans une école pour sourds. Les collégiens, qui ont l’habitude d’avoir face à eux, une enseignante entendante qui « signote » un peu, sont captivés par les cours donnés par la stagiaire, ils participent comme ils ne l’ont jamais fait. Le stage de 15 jours se termine et l’enseignante titulaire reprend se place devant les élèves. Ils se mettent immédiatement « en grève », et manifestent leur souhait de voir revenir l’autre enseignante. Lorsque celle-ci postule dans l’école à la rentrée suivante, on lui préfère la candidature d’un autre professeur qui n’a aucune connaissance de la langue des signes. Elle interroge la direction de l’établissement sur ce choix étonnant. On lui répond que le stage qu’elle avait fait, a été très perturbant pour l’établissement et qu’il a fallu près de deux semaines, pour que l’ordre revienne.

     

  • Cynthia est une kinésithérapeute sourde, qui a été recrutée en CDD pour remplacer la kinésithérapeute titulaire, qui est en congé de maternité, dans un établissement qui accueille des sourds adultes avec handicap associé. Le remplacement se passe, semble-t-il à merveille, les résidents sont enchantés. Ils participent avec entrain aux séances de kiné. A retour de congé de maternité de la kiné, la plupart des sourds refusent de reprendre leurs séances de kiné. La directrice dit qu’on ne l’y reprendra plus à embaucher des sourds…

     

  • Clara est une aide-soignante sourde, embauchée dans un établissement qui accueille notamment des sourds âgés, lourdement handicapés. Elle est la seule sourde à travailler dans l’établissement. Elle développe assez rapidement, une bonne communication avec la plupart des résidents, aux compétences linguistiques limitées. Elle se révèle la seule à comprendre ce que certains demandent. Le médecin généraliste qui suit les résidents, comprend assez vite tout le bénéfice qu’il peut tirer de la présence de cette jeune femme, lorsqu’il doit examiner un résident. Lors des réunions de synthèse, Clara transmets aux autres membres de l’équipe de soins, les informations qu’elle recueille et que les autres n’arrivent pas recueillir. Il s’avère assez vite qu’elle arrive à avoir une communication avec certains résidents, avec lesquels toute communication était auparavant considérée comme impossible. La chef de service est assez irritée par la tournure de certaines réunions. Elle dit un jour à l’aide-soignante : « on connaît tous ces sourds depuis bien avant votre arrivée, et voilà qu’ils se mettraient maintenant tous à parler ».

En première analyse, on pourrait penser qu’il s’agit de situations de discrimination, avec non respect des sourds (c’est ce qui m’a été dit). Le processus qui est à l’œuvre me semble cependant d’un autre ordre. S’il s’agissait de discrimination, les trois directeurs, n’auraient pas fait le choix de prendre en stage ou d’engager un professionnel sourd. Il me semble plutôt que la présence d’un professionnel compétent en langue des signes, dans un établissement où le niveau de langue des signes du personnel est très limité, révèle le problème au grand jour. Alors qu’auparavant, tout le monde « signotait » un peu, mais que personne ne pouvait vraiment entrer en relation avec les sourds, la présence d’un professionnel sourd rabaisse la prétention de tous, elle agit comme un révélateur.

Leur présence révèle que les difficultés de communication entre sourds et professionnels, ne sont pas le fait des résidents ! Jusque là, il était admis que le peu de communication avec les sourds de ces établissements, était liés à leurs situations particulières. Aujourd’hui, on sait que ce sont les professionnels qui en sont responsables. Et çà, c’est très perturbant ! Les directions se trouvent alors devant ce dilemme : reconnaître que toutes les équipes doivent se former (y compris ceux qui sont là depuis des dizaines d’années…) et qu’il faut embaucher plus de sourds, ou éliminer l’élément perturbateur… Souvent, on s’orientera vers la solution la plus simple. Il n’est pas certain que ce soit la plus éthique !

 

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commentaires

C
Bonjour et merci pour votre article très intéressant et très révélateur. Effectivement, ce n'est pas de la discrimination mais de la jalousie collective !!! Je ne connaissais pas votre blog, je le suivrai dorénavant. Christ Yss
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